Retraites : encore raté ?

Que représentent les dépenses retraite des régimes spéciaux ? Y-a-t-il besoin sur le plan comptable d’une réforme urgente ?

Emmanuel Grimaud, président fondateur de Maximis a répondu aux questions de Stéphane Soumier sur la situation financière des retraites en 2021.

“Retraite : 328 milliards d’euros de dépenses ?”

"C’est exact. La moitié de l’enveloppe de la protection sociale en France. 50% des dépenses de protection sociale c’est les retraites."

“En termes de dépenses publiques : plus de la moitié de l’augmentation des dépenses publiques est due aux retraites sur les 60 dernières années.”

"Petite nuance au sujet des dépenses publiques. Attention, sur les 330 milliards, il y a 200 milliards qui sont les retraites du privé. Les retraites du privé passent des poches des entreprises, prélevées sur les fiches de paye et versées à des particuliers retraités. En termes de dépenses publiques, ce n’est pas à proprement parler une dépense publique. Ce sont des prélèvements obligatoires sur la richesse créée par les entreprises."

“On ne peut pas retrouver un peu de discipline sur la dépense publique sans d’abord s’occuper des retraites ?”

"Si les retraites sont à l’équilibre et que tout le monde y trouve son compte, entreprises d’un côté et bénéficiaires des retraites de l’autre, et là encore il y a un vrai sujet sur l’exception française en termes de retraite. Ce n’est pas le déficit ou la dette de l’Etat qui joue pour la partie privée. Attention, il y a les retraites de la fonction publique qui viennent de la poche de l’Etat et nos impôts ou la dette qui viennent combler d’éventuels déficits."

“1,7 cotisant par retraité c’est ça aujourd’hui ? Ils étaient 4,2 en 1965.”

“Oui mais on cotisait beaucoup moins.”

“Y-a-t-il besoin sur le plan comptable d’une réforme urgente ?”

“Alors, on n’est pas au bord du gouffre ou de la faillite. En 2019, Cnav + Arrco-Agirc, qui représentent 200 milliards d’euros, soit deux tiers des dépenses, étaient tous les deux à l’équilibre, alors que l’on revenait d’un déficit de 20 milliards en 2010. Autrement dit, avec la réforme Woerth et le passage de 60 à 62 ans, on a résolu ces déficits. Le bord du gouffre, on en était pas loin en 2010. Le job a été fait, et la réforme Touraine de 2014 nous dit que l’on va travailler un an et demi de plus.”

”Rééquilibrer le résultat de 10% en deux ans c’est quand même très spectaculaire”

“C’est colossal. Le déficit qui faisait peur à Edouard Philippe, et qui l’a poussé à mettre en place la mesure d’âge pivot, qui a déclenché deux mois de grèves calamiteuses pour l’économie, représente 5 à 7 milliards d’euros de pertes en 2025. Si on décorrèle les retraites de 0,2 % chaque année, autrement dit un changement indolore, on arrive à récupérer nos 6 milliards d’euros en 8 ans. Résoudre un problème de 5 à 7 milliards de déficit, ce n’est pas problématique. Ensuite, l’autre question, c’est doit-on travailler plus ? Oui, il faut travailler plus. Parce que l’espérance de vie augmente... ”

“Mais pourquoi si mon régime n’est pas en déficit ?!”

“Mais parce que de toute façon, on va avoir une espérance de vie qui augmente. À un moment, je ne peux pas avoir une vie à la retraite aussi longue que ma vie en activité. Aujourd’hui, on a entre 60 % et 70 % des répondants de nos sondages qui souhaitent faire soit un cumul emploi-retraite ou une retraite progressive. Il y a une forte appétence pour un atterrissage en douceur. Le côté : “j’arrête tout du jour au lendemain” ce n’est plus, ni la norme, ni le souhait général. Et le taux d’emploi des +55 ans est à 50 %. 60 % en Europe, 70 % en Allemagne. On a effectivement une durée d’activité en France qui est très inférieure à nos voisins et on a en plus aujourd’hui une pénurie de personnel. On avait déjà cette pénurie en 2019 mais on en parlait moins.”

“La pénurie de compétences, c'est la principale menace qui pèse sur l’économie française. Mais ça, ce n’est pas le sujet des retraites.”

“Tout est lié. Si on veut pouvoir à terme baisser le poids des prélèvements sur les entreprises, c’est en ayant un effort collectif avec un travail plus long (pas forcément à plein temps, pas forcément pour tout le monde) en baissant les charges, en améliorant les petites retraites. Les régimes spéciaux ça vient un petit peu là-dedans. Les français sont massivement favorables à un alignement des régimes spéciaux. A un moment, cela devient difficile d’expliquer à quelqu’un qu’un chauffeur de bus à Lille part à 62 ans, peut-être demain 64 ans, à Paris il part à 57 ans.”

“En fin de compte, les régimes spéciaux c’est 3 milliards d’euros en plus ou en moins”

“Le coût des régimes spéciaux c’est 15 milliards d’euros par an, donc 5% du total des retraites. Si l’on reprend le big picture, par rapport à nos déficits de 330 milliards, ce n’est pas ça qui va faire l’équilibre ou déséquilibre des retraites en France."

“On sait que c’est ce point là qui peut faire calancher une réforme. Un point de tension est en fait négligeable dans l’ensemble des résultats de la réforme.”

“Si ça se fait, ce sera avec la clause du grand-père (i.e seuls les nouveaux entrants seront dans le nouveau système). Je crois qu’aujourd’hui, il n’y a plus de doutes. C’était déjà quasiment déjà le cas à la fin des deux mois de discussions d’Edouard Philippe.”

“Pécresse veut la retraite à 65 ans. Xavier Bertrand, qui avait été rapporteur d’un projet sur les retraites, dit “oui ça sera deux ans de plus mais dans 10 ans”. On n’en a pas besoin aujourd’hui, mais dans 10 ans”. Est-ce la bonne lecture ?”

“Oui je suis d’accord, on n’en a pas besoin tout de suite. Oui, sur le long terme, il faudra travailler plus longtemps. Est-ce un passage progressif entre aujourd’hui et dans 10 ans ?”

“Il dit : deux ans de plus dans 10 ans”

“Pour moi il y a deux hypothèses, deux schémas.

1/ J’augmente le nombre de trimestres requis. 2/ Je joue sur la borne d’âge

On arrive à peu près aux mêmes résultats avec les deux schémas. Déjà la réforme Touraine nous dit qu’il faut qu’on bosse un an et demi de plus. Donc on va arriver à 64 ans, c’est ce qu’à dit Edouard Philippe dans l’introduction à sa réforme, mais c’est plus juste de travailler sur les trimestres, parce que les gens qui ont commencé à travailler à 16 ans il n’y a pas de raison qu’ils travaillent 48 ans jusqu’à 64 ans.”

“Tu insistes beaucoup en disant que l’on a pas besoin d’une réforme financière mais d’une réforme de justice, car personne n’y comprend rien.”

“Je forme 1000 personnes par an, personne n’y comprend rien. Il me faut 4 heures avec 75 slides à un rythme d’enfer pour faire en sorte que les gens aient une vision à peu près claire. La réforme par points était dans le fond, avec des imperfections peut-être, une bonne réforme qui rendait le système clair. Ce qui pose problème aujourd’hui c’est l’incompréhension, l’opacité du système et dès qu’on dit qu’on va y toucher, tout le monde dit “on va se faire avoir”. Donc le système par points on y viendra. Ce ne sera peut-être pas dans 2 ans, peut-être dans 5 ans ou dans 10 ans, mais ça viendra. C’est une vision de justice, surtout pas les femmes. Le système actuel est très injuste envers les femmes. Vous pouvez avoir deux personnes qui ont eu pendant 37 ans, le même salaire et la même carrière : il suffit que l’un ait eu des petits boulots entre 20 et 25 ans, il aura cotisé 2% de plus, il va toucher 50% de retraite en plus. Est-ce qu’on peut dire que le système actuel est juste. Une femme qui reprend un travail peut faire baisser sa retraite en payant des cotisations… Mais c’est compliqué.”