Décryptage de l'Expert Retraite : les conclusions des concertations, ce qu'il faut retenir

jeudi 11 octobre 2018

Le haut-commissaire à la réforme des retraites a dévoilé hier aux partenaires sociaux les grandes lignes des conclusions après plusieurs mois de concertation. Que faut-il en retenir ? Nous avons demandé à Emmanuel Grimaud de nous donner son éclairage


4 grands rappels indispensables

Contrairement à ce que pense beaucoup de français, le système actuel est loin d’être au bord de la faillite. Pour 307 milliards de retraites annuelles versées, le déficit annuel se chiffre à 6 milliards d’euros. La CNAV est passée d’un déficit de près de 10 milliards d’euros en 2010 à un excédent de presque 2 milliards en 2017. L’Arrco / Agirc quant à elle devrait être en excédent en 2019. Les différentes mesures prises dans les réformes précédentes ont permis d’améliorer les comptes de près de 60 milliards d’euros par an.

De plus, les retraités ont un niveau de vie supérieur à celui des actifs, un taux d’épargne supérieur à celui des actifs, qui augmente de surcroît avec l’âge.

Le taux de pauvreté chez les retraités a baissé considérablement depuis 25 ans. Les études évaluent que 8% des retraités vivent dans la pauvreté, ce qui est inférieur au reste de la population.

Enfin, au moins 600.000 retraités, soit 1/3 des retraités récents (ie des 3 dernières années) sont en cumul emploi retraite, mais seuls 8 % le sont par nécessité économique.

 

Les points forts à retenir


Là où beaucoup l’attendaient au tournant pour fustiger une réforme pénalisante avec des perdants (90 % selon certains syndicats : ce qui est totalement FAUX) force est de constater que le projet est consensuel, équilibré, conforme à l’esprit de la réforme annoncée pendant la campagne présidentielle et depuis la nomination du Haut Commissaire :

  • rendre le système plus simple, plus lisible, plus équitable

  • rétablir la confiance dans un système aujourd’hui mal compris et excessivement complexe

  • rendre plus juste (à cotisation égale, retraite égale),

  • ne pas réduire le montant des retraites (pas d’impact pour les retraités actuels ni sur les départs jusqu’à 2024),

  • cotisations pouvant rester différenciées pour s’adapter à la spécificité des métiers (ex : commerçants),

  • maintien voire accentuation de la logique de solidarité (chômage, handicap, carrières hachées, maternité, aidants familiaux…),

  • maintien du principe des pensions de réversion (attention toutefois à l’introduction éventuelle de conditions de ressources),

  • intégration progressive des primes des fonctionnaires,

  • majoration pour les mamans dès le 1er enfant…

  • ne pas monter les uns contre les autres.

 

On en sait un peu plus sur le futur système de retraite

Un système par points
En résumé, un système semblable à celui de l’Arrco Agirc qui existe depuis plus de 70 ans…
Rien ne prévoit dans le projet annoncé par Jean-Paul Delevoye la possibilité de baisser la valeur du point et donc les retraites.
La valeur du point ARRCO ou AGIRC n’a jamais baissé depuis 1947… (même s’il a dernièrement augmenté moins vite que l’inflation).
Près de la moitié des cotisations de retraite actuelles sont déjà basées sur un système par point sans que cela n’ait jamais entraîné de baisses des pensions.

Un système unique et universel
Monsieur Delevoye a confirmé le principe de base de la réforme : pour un euro cotisé, la retraite générée sera la même pour tous.

Peut-on contester ce principe d’équité ?
Qui sait qu’aujourd’hui le chômeur qui reprend une activité ponctuelle peut faire baisser sa retraite alors qu’il cotise plus et essaye de peser moins sur la collectivité en se donnant plus de chances de retrouver un emploi à long terme ? Le mode de calcul actuel pénalise les personnes qui ont une carrière atypique.  Qui sont ils ? Les femmes, les personnes précaires, les personnes cotisant à plusieurs régimes durant leurs carrières, les indépendants/commerçants, les entrepreneurs, les expatriés… etc
Les carrières faibles, heurtées, hachées seront mieux compensées par le système futur à points que par le système actuel.

 

Qui sera concerné par la Réforme ?

Rien ne changera, ni pour les personnes déjà à la retraite, ni pour les personnes nées avant 1962 qui peuvent prendre leur retraite d’ici 2024.
La transition se fera ensuite très progressivement sur 40 ans.
"Il conviendra d’analyser plus en détail les modalités techniques mais on peut penser que la volonté de transition très progressive a pour but d’éviter des effets de seuils pénalisants et injustes" précise Emmanuel Grimaud.

 

6 points forts décryptés par Emmanuel Grimaud

1 - Un décalage de l'âge de départ à 63 ans ?

Des rumeurs ont circulé en début de semaine sur l’éventualité de l’instauration d’une décote pour un départ à l’âge de 62 ans et pour un « taux plein » à 63 ans.
Jean-Paul Delevoye confirme qu’il ne s’agit que d’une rumeur et que, logiquement, des discussions auront lieu sur les paramètres qui permettront au régime de s’adapter.
"Rien ne permet donc aujourd’hui d’affirmer que l’âge de départ est décalé d’une quelconque manière." rappelle Emmanuel Grimaud.

 

2 - Un rendement égal, mais des cotisations pas forcément au même niveau

Pour un euro de cotisation, un même niveau de retraite. Ce principe de base est confirmé. Il entérine ce souhait de rendre le système plus juste, plus lisible, plus équitable.
Cependant, certaines professions maintiendront un taux de cotisation (un niveau de charges) différencié (inférieur). Les commerçants et la plupart des professions libérales, par exemple, qui cotisent aujourd’hui moins que les salariés, ne verront pas leurs cotisations augmenter considérablement, ce qui aurait pour effet de les mettre en difficulté dans leur activité.
Qui dit moins de cotisations dit donc moins de retraite à l’arrivée. Mais ce type de professions doit souvent consentir des efforts importants au moment du lancement de leur activité, ce qui leur laisse moins de possibilité de cotiser.
"Il serait donc souhaitable que la loi leur permette d’avoir des cotisations optionnelles facultatives supérieures lorsqu’ils réalisent par exemple des « bonnes années » ou sont plus installés." préconise Emmanuel Grimaud.


3 - Maintien des règles de solidarité

Jean-Paul Delevoye est attaché à maintenir voire amplifier les mécanismes de solidarité existants.
Bonne nouvelle, le système par point est particulièrement adapté à une politique de solidarité et de protection des plus faibles.
Points « gratuits » pour la maternité, pour le handicap, pour le chômage (comme c’est déjà le cas actuellement), pour les formations… etc
Lisibilité, équité, solidarité
"Contrairement à ce que l’on entend parfois, le système par point aura un effet favorable sur les retraites des femmes, souvent pénalisées aujourd’hui par le mode de calcul qui pénalise les carrières atypiques, non linéaires, incomplètes…" analyse Emmanuel Grimaud.

 

4 - Un niveau maximum de cotisation ?

C’est peut-être l’un des éléments les plus marquants de la réforme en cours, même s’il ne concerne que peu de français, entre 200 et 300.000 personnes.
Dans le système actuel, les cadres supérieurs et les cadres dirigeants cotisent jusqu’à un salaire annuel brut de 318.000 euros (soit 26.500 euros bruts par mois). Dans le nouveau système, les cotisations seraient plafonnées à une rémunération maximum d’environ 120.000 euros bruts annuels (soit 10.000 euros bruts par mois), niveau de cotisation maximum applicable actuellement dans la plupart des professions non salariées.


"Moins de cotisations = moins de retraite… c’est assez simple à comprendre. Cela signifie que la retraite des trentenaires actuels, futurs cadres supérieurs pourrait être divisée par deux par rapport au niveau actuel… Que faut il en penser ?
D’une part, cela signifie que les cadres auraient moins de cotisations durant leur vie active et donc un salaire net supérieur (ils contribuent à hauteur de 40 % de ces cotisations actuellement), les entreprises économiseraient les 60 % qui leur incombe actuellement.
Autrement dit, le revenu net disponible tout au long de la carrière permettrait aux cadres supérieurs une épargne supplémentaire tout au long de leur vie, ce qui suppose à la fois :

  • une discipline d’épargne d’une part,

  • d’autre part une capacité à épargner sur des placements avec des rendements corrects tout en limitant le risque (règle de base et immuable de toute épargne : pas de risque, pas de rendement, plus on augmente la part de risque plus le rendement est élevé.

Contrairement à ce que pense souvent l’épargnant français, le placement « sans risque » n’est pas forcément un bon choix sur le long terme.
Du point de vue macro-économique, cela donnerait une attractivité supplémentaire significative à la France, vu de l’étranger. Le taux élevé de charge sociales (en grande partie les cotisations retraite) est en effet souvent perçu comme étant un handicap pour attirer des entreprises et des talents étrangers en France.

En revanche, du point de vue individuel, il est difficile d’imaginer que le gouvernement n’envisage pas un système qui :

  • inciterait les entreprises à mettre en place des systèmes facultatifs de cotisations retraite,

  • permettent à ces cadres dont le taux de remplacement serait dégradé (divisé par deux) d’investir dans des schémas d’épargne retraite.


Une première option serait d’investir optionnellement dans le système universel par point, une deuxième option serait d’épargner dans les dispositifs d’épargne retraite que la loi PACTE entend rendre plus souples et plus attractifs.


Les enjeux pourraient représenter environ 5 milliards d’euros d’épargne supplémentaire par an, soit près de 100 milliards d’euros au bout de 20 ans. Somme qui pourrait financer l’économie française et renforcer les fonds propres de nos entreprises, moins bien capitalisées que celles de nos concurrents, et également renforcer le financement des jeunes pousses pour éviter qu’elles ne soient forcées de partir à l’étranger comme aujourd’hui dès lors qu’elles atteignent une certaine taille.
Le maintien d’une activité économique sur le territoire national et de la création d’emplois en France étant une condition sine qua non de la pérennité du système de retraite français…" selon Emmanuel Grimaud, expert depuis plus de 15 ans.

 

5 - Faut-il croire les arguments les plus souvent entendus contre la réforme ?

La plupart des arguments entendus aujourd’hui contre la réforme ne sont pas légitimes.
La réforme en soi n’entraîne pas une baisse des pensions. Ce qui ne signifie pas qu’à un horizon lointain (2030 ? 2040 ?), il ne soit pas nécessaire de prendre en compte l’augmentation de l’espérance de vie et l’amélioration de la santé des plus de 60 ans pour envisager un allongement de la durée d’activité. "Rappelons que la France est l’un des rares pays à conserver un âge de retraite à 62 ans lorsque la plupart de nos voisins doivent travailler jusqu’à 65 voire  67 ans" rappelle l'expert.

 

6 - Quelle conséquence pour l'emploi des seniors ?

Le taux d’emploi des plus de 60 ans (plus significatif que le taux habituellement présenté des 55/65 ans), longtemps très inférieur en France par rapport à nos voisins européens s’est fortement amélioré depuis dix ans. Le recul de l’âge de départ de 60 à 62 ans en est la principale raison.
Ce recul de l’âge de départ a un effet favorable sur le PIB.
Les mécanismes de cessation progressive d’activité (cumul emploi retraite, retraite progressive… etc) permettent d’améliorer :

  • ce taux d’emploi,

  • le niveau de vie des seniors,

  • les comptes publics


L’IGAS a recommandé en 2013 d’encourager le recours à ces dispositifs. "Il est donc fortement souhaitable que la réforme continue à promouvoir ces mécanismes et que les entreprises françaises les adoptent massivement, ce qui leur procure dans la plupart des cas des avantages significatifs." conclu le Président Fondateur de Maximis.

 

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Ecrit par Emmanuel Grimaud, Président Fondateur de Maximis et de simul-retraite.fr et la rédaction de Simul-retraite.fr


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